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Ouvert en 1831, le Kupferstichkabinett de Berlin (ici KK) abrite une collection graphique, constituée dans l’optique...

Ouvert en 1831, le Kupferstichkabinett de Berlin (ici KK) abrite une collection graphique, constituée dans l’optique d’une sélection précise et qui s’étend du XII e au XXIe s. Les découpes ou cuttings, tirées de livres liturgiques ou de textes classiques, forment au KK un microcosme complet, dont ce volume offre une première analyse attentive à ses origines, et un catalogue scientifique des pièces italiennes du XIIIe au XVII e s. L’enquête de Beatrice Alai remonte à la bibliothèque des Grands Électeurs et des rois de Prusse, permet de suivre l’accroissement des acquisitions de cuttings entre 1831 et 1931 et de dessiner le profil de certains collectionneurs : von Nagler, Hausmann, Lippmann. La réflexion de l’a., sinon sa perplexité et sa réprobation, met en lumière le phénomène de la collection de mss et de miniatures découpés. Ainsi, l’abbé Luigi Celotti (1759-1843) a lancé déjà avant 1797 la chasse aux cuttings médiévaux et Renaissance ; par son intervention sacrilège dans les mss de la Chapelle Sixtine pillés par les troupes napoléoniennes, entrèrent dans sa collection des fragments d’un missel de chœur, olim Sacristie de la Chapelle Sixtine, A II 13 (Maître du cardinal Pallavicini, actif à Rome après 1492 et avant 1513), tandis que des parties du volume démembré ont été insérées dans le volume composite Vaticano, BAV, Arch. di San Pietro, A 47. Des fragments de même origine et d’autres provenances furent vendus par l’abbé Celotti lui-même en 1825, attirant le regard sur leur valeur et créant un marché actif des cuttings.
Rendue possible, à la fin du XVIIIe et au début du XIX e s., par la sécularisation de biens d’Église, l’extinction de familles nobles et l’abolition des corporations, l’acquisition de mss répondait à un intérêt renouvelé pour le passé et l’image : un important marché se centre d’abord sur les œuvres d’art et les codex entiers, et bientôt sur l’image in se, au détriment du texte. L’image fonctionne comme un petit tableau peint (paysage, bataille) ; les miniatures isolées en pleine page, qui étaient conçues parfois comme telles dès leur création, joueront encore le rôle de support pour l’éducation morale et religieuse et pour la dévotion privée, encadrées au mur, collectionnées et même parfois réintégrées dans un livre d’heures. Progressivement, ce sont les fragments plus réduits qui seront recherchés comme exemples de styles et comme modèles calligraphiques, collés dans des albums pour retracer l’évolution de la peinture et accueillir des typologies variées d’écritures pour le paléographe. Découpée dès le XVIII e s. comme élément esthétique purement décoratif, la lettre, filigranée, décorée ou figurée, et la bordure ornée seront réévaluées à partir de 1825, comme témoins de culture et de civilisation historiques et artistiques ; vers la fin du XIX e s., elles deviendront des modèles d’inspiration pour qu’artistes et artisans en réalisent des réélaborations contemporaines.
Maître des Postes prussiennes, Carl von N gler (1770-1846) réunit dans la première décennie du XIXe s. une bibliothèque et une collection graphique de 50 000 pièces – gravures, dessins et estampes –, parmi lesquelles 200 cuttings du XIIe au début du XVI e s. ; l’ensemble graphique sera racheté en bloc par le KK pour constituer un cabinet public. Typiques y sont deux albums de Litterae deauratae et pictae, Berlin, KK, 78 A 201-2 , qui contiennent entre autres des fragments d’un missel commandé par Benoît XIII entre 1400 et 1405, maintenant scindé entre Vaticano, BAV, Vat. lat. 4764-4765, Toledo, A. y B. Cap., 38-4 et Cassino, B. Abb., 539. Directeur du KK de 1876 à 1903, Friedrich Lippmann avait l’ambition d’élever le cabinet des estampes à un niveau européen, à même de concurrencer le musée des arts appliqués par excellence, le South Kensington Museum à Londres, devenu le Victoria & Albert Museum en 1899. Ce Museum für Graphische Kunst projeté devait stimuler l’industrie allemande dans un processus créatif enrichi par les modèles anciens. Cette volonté portera le KK à acquérir en 1875 la collection de David B. Hausmann et, en 1879, celle d’Hippolyte Detailleur, plus modeste mais plus moderne, car conçue comme un musée sur une échelle réduite de l’art italien et flamand de la Renaissance. Dans la première se distinguent 5 miniatures, KK, Min. 1250, provenant du Canon missae de Wroc?aw, BU, I F 361, ainsi que des fragments de l’Évangélistaire marcien, Venezia, BN Marciana, lat. I 100 = KK, Min. 2089 ; lat. II 101 = KK, Min. 2260 ; et lat. III 111 = KK, Min. 2116. Le travail d’acquisition de Lippmann se situe dans le développement scientifique de l’étude de la miniature, entendue comme témoin d’un art perdu sur fresque ou tableau.
Dans le catalogue du volume, Beatrice Alai étudie les miniatures italiennes du KK, groupées par régions géographiques (modernes) : chaque notice indique les dimensions et la matière du support, le médium et le type d’écriture, des portées et notations musicales, la provenance et la date d’entrée au KK, la transcription des fragments de texte du cutting et son état de conservation. L’a. étudie le style et le contexte stylistique, et discute, le cas échéant, l’attribution du fragment, indiquant les rapprochements avec d’autres cuttings ou mss apparentés. Chaque notice reçoit une bibliographie spécifique, reprise dans la bibliographie générale, accostée de la liste des mss. On peut souligner la précision des repérages et la qualité des reproductions en couleurs dans ce volume appréciable.

R. Casteels
Data recensione: 01/01/2022
Testata Giornalistica: Scriptorium
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