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Dans cet ouvrage rédigé à quatre mains, W. J. Connell et G. Constable s’intéressent à une histoire célèbre de la Florence du début du XVIe siècle, celle du Florentin Antonio Rinaldeschi. L’histoire se déroule en 1501

Dans cet ouvrage rédigé à quatre mains, W. J. Connell et G. Constable s’intéressent à une histoire célèbre de la Florence du début du XVIe siècle, celle du Florentin Antonio Rinaldeschi. L’histoire se déroule en 1501. Sortant d’une taverne, Antonio, ivre et sans un sou, ramassa des excréments par terre et les lança contre une image sacrée qui était suspendue à une petite église de la ville. Découvert par les autorités communales, il tenta de se suicider. Finalement, il fut arrêté et pendu. En faisant appel à un large corpus de sources textuelles et iconographiques de l’époque – de magnifiques panneaux peints de l’époque résument le crime et la condamnation de Rinaldeschi – les auteurs proposent une enquête fouillée de cette histoire et mettent en exergue le contexte politique et religieux de la Florence de la Renaissance en prêtant une attention toute particulière à la question du blasphème, de l’iconoclasme ainsi qu’à celle du culte fervent des images.Trois chapitres organisent le récit. Dans un premier temps, l’histoire d’Antonio est racontée dans les moindres détails ; ensuite les auteurs s’intéressent à la nature du crime commis et au fonctionnement de la machine judiciaire ; enfin, l’épisode de Rinaldeschi est replacé dans le contexte politique, culturel et religieux de la Florence de la Renaissance. Plusieurs sources contemporaines permettent de retracer la suite des événements : des panneaux peints par Filippo di Lorenzo Dolciati en 1502 commandités par l’œuvre de l’église Santa Maria degli Alberighi ; la sentence promulguée par les Huit de Garde, une magistrature instituée en 1378 chargée de la protection de l’Etat détenant des fonctions de police et de justice ; des documents de la Compagnie dei Neri qui enregistrait toutes les exécutions à Florence ; des témoignages extraits du livre des comptes de l’œuvre de Santa Maria, œuvre créée afin de promouvoir la dévotion à l’image de l’Annonciation ; des chroniques comme celle de Luca Landucci ainsi que des témoignages tardifs datant du XVIIe siècle.Reprenons le récit du crime. Le 11 juillet 1501, Antonio Rinaldeschi fréquente la taverne « Il Fico ». Il boit et s’adonne au jeu de hasard, mettant à mal ses économies. En sortant de la taverne, énervé d’avoir perdu, il blasphème le nom de la Vierge Marie. Ensuite, arrivé sur une petite place devant l’église de Santa Maria degli Alberighi, il s’arrête en ramassant un peu d’excréments de cheval. Confectionnant une boule dans sa main, Antonio lance les excréments contre l’image de l’Annonciation peinte sur le tabernacle de l’église, image sainte connue sous le nom de Madonna ou Santa Maria de’ Ricci. Cette image avait été commissionnée par Rosso de’ Ricci au XIVe siècle. Les excréments, au lieu de retomber par terre, finissent par s’incruster sur l’image en la ruinant et en la déshonorant. Après avoir commis ce geste blasphématoire, Antonio s’enfuit en dehors de Florence, disparaissant pendant plusieurs jours. L’image abîmée et salie attire alors très vite l’attention des fidèles et des passants. L’archevêque en personne se rend sur place pour constater le désastre. L’image abîmée devient un véritable objet de dévotion populaire. Devant elle, des cierges et des images pieuses sont déposés. Les Huit de Garde commencent à rechercher le coupable et le témoignage d’un jeune homme qui avait assisté à la scène les met sur la piste d’un homme adulte. En enquêtant auprès de la taverne, ils suspectent rapidement Rinaldeschi. Peu de jours suffirent pour retrouver sa trace. Ils le trouvent dans le jardin du couvent franciscain de Monte delle Croci, dans les hauteurs florentines. Antonio, se voyant traqué et découvert, tente alors de mettre fin à sa vie en se donnant plusieurs coups de couteau dans la poitrine. « Par miracle », la lame du couteau touche une des côtes et la police peut ainsi le récupérer vivant. Traîné dans Florence, il est emprisonné et interrogé par les magistrats. Il confesse ses crimes, fait pénitence et demande aux juges d’être condamné et supplicié par peur de finir entre les mains du peuple et d’être lynché. Il est donc condamné à mort par pendaison. Les Huit de Garde confisquent ses biens. Un prêtre écoute sa confession et lui donne l’absolution. Dans la nuit, les membres de la confrérie de la Compagnia dei Neri, confrérie en charge de l’accompagnement des défunts, l’amènent non pas sur le lieu habituel des supplices mais au palais du Bargello, aux fenêtres duquel il est pendu. Son corps fut laissé là pendant quelque temps avant d’être ensuite enseveli. Le vicaire de l’archevêque fit immédiatement nettoyer l’image, mais, racontent les sources, comme par miracle, une partie des excréments ne put être enlevée. Elle n’arrêtait pas d’apparaître à nouveau comme pour marquer aux yeux de la collectivité le crime abominable commis.L’histoire d’Antonio est ainsi reconstituée à la lumière des différentes sources à disposition : sources judiciaires, littéraires et iconographiques. Les auteurs insistent d’ailleurs sur ce dernier aspect en commentant avec intelligence les panneaux de Dolciati. Ils rappellent à juste titre qu’il ne s’agit pas là d’une peinture infamante selon la définition bien connue qu’en donne Gherardo Ortalli (trad. fr. Pingatur in Palatio. La peinture infamante du XIIIe siècle au XVIe siècle, Paris, G. Monfort, 1994). Le peintre présente en revanche un raccourci de l’événement en insistant, ce que les autres sources ne font pas, sur le parcours christique d’Antonio. Autrement dit, il interprète l’histoire d’Antonio comme un parcours qui l’amène du crime au salut, salut de son âme dans la tradition relative au bon larron qui sur la croix, en faisant pénitence, assure le salut de son âme. Dolciati pour la scène de l’arrestation d’Antonio s’inspire des scènes de l’arrestation du Christ, comme celle peinte par Duccio di Buoninsegna.De l’acte iconoclaste à la pénitence et au miracle. Ainsi pourrait être résumé l’événement. Un deuxième chapitre s’intéresse tout particulièrement à l’analyse de l’outrage commis par Antonio et à la nature de la peine surprenante qui lui fut infligée, car la législation statutaire, en cas de blasphème ou d’acte iconoclaste, ne prévoyait pas généralement la peine capitale. La nature du crime, ici double, car la fureur iconoclaste est précédée par le blasphème, peut être expliquée à travers différents éléments. Les lieux d’abord : la taverne et l’espace public. La taverne, antre du diable que les autorités communales n’ont de cesse de contrôler, c’est l’endroit où se consomme, dans le vin et le jeu, la sociabilité collective. L’alcool et les jeux de hasard qui conduisent le plus souvent à perdre de l’argent ne contribuent point à la paix des esprits. Au contraire, ils conduisent irrémédiablement à la perte du contrôle de soi, de sa parole, de ses gestes et à la dérive outrancière. Les textes le soulignent : jeux, argent, taverne, nuit et boisson sont les éléments constants qui facilitent la dérive des comportements, des gestes et des paroles qui, en offensant Dieu, nuisent à cette concordia urbis chère aux autorités parce qu’elle a partie liée avec le processus de bon gouvernement de ce corps complexe et fragile qu’est la cité. La folie iconoclaste est aussi générée par l’instigation démoniaque. Dolciati peint Antonio toujours avec un petit démon près de sa tête. La lutte contre les blasphèmes et la destruction des images est chose courante dans l’Italie médiévale. Rares sont les statuts urbains qui ne condamnent pas ces dérives et qui ne prévoient pas de peines à infliger aux coupables. Le système est fondé sur la délation publique. En règle générale, la première peine infligée est une peine pécuniaire. Des hiérarchies sont prévues. Plus d’argent pour celui qui blasphème Dieu ou la Vierge, moins pour celui qui s’en prend à un saint ou à une sainte. Les sommes d’argent sont d’ailleurs doublées lorsqu’en s’attaque à une image. En cas de non acquittement de la peine ou en cas de récidive, des peines d’emprisonnement ou des peines corporelles sont alors prévues. La diversité de la législation pénale dans l’Italie médiévale est grande. En 1512, par exemple, à Florence, un blasphémateur est banni de la ville pendant trois ans après avoir été obligé de déambuler dans les rues de la ville avec la langue perforée d’un clou. Dans le cas de Rinaldeschi, les Huit de garde ne furent donc particulièrement sévères. Coupable d’avoir blasphémé, d’avoir abîmé une image sainte, de s’être enfui et d’avoir tenté de se supprimer, échappant ainsi à la justice, Rinaldeschi offre aux autorités un cas exemplaire de condamnation. Que cela serve d’exemple, en somme. La sévérité de cette peine doit être aussi comprise en prêtant attention au contexte de l’époque. C’est ce que les auteurs font dans le dernier chapitre de l’ouvrage.
Data recensione: 01/01/2007
Testata Giornalistica: Cahiers de Recherches Médiévales
Autore: Silvère Menegaldo